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Le mystère de « hègueï ! (Clin d’œil aux Constantinois)

Par Monique Zerdoun

Si j’adresse ce clin d’œil aux Constantinois (Constantine et son département, soit l’est de l’Algérie) c’est que, je ne cesse de le répéter, l’Algérie est un vaste pays, un très vaste pays où les traditions, les coutumes, les habitudes alimentaires ou la façon de parler varient fortement d’un endroit à l’autre. S’agissant de la communauté juive, je dirais même que l’Histoire vécue par ses membres n’est pas tout à fait la même non plus, de l’Algérois à l’Oranais ou au Constantinois.
 Les contraintes, les conditions de vie ou les influences subies étant différentes, leurs coutumes, leurs musiques, leurs habits, leurs traditions, leur « folklore », leurs chants rituels, ne sont pas forcément les mêmes. Or, je crois que les deux mots qui m’ont de toujours intriguée et dont il sera question dans les lignes qui suivent n’ont été en usage que dans le Constantinois. Il est fort possible que je me trompe et dans ce cas, ce seront vos remarques et vos réflexions qui me signifieront qu’en réalité ces mots que j’ai toujours associés au Constantinois, étaient connus et en usage ailleurs. Je suis par avance très très curieuse de le savoir.

Venons-en au fait. « Ticha be Av » approche. « Ticha be av », traduit en français par le « 9 du mois de Av », marque une date très importante dans l’histoire du peuple Juif puisqu’il s’agit de la date de la destruction du Temple de Jérusalem. Ou plutôt des deux destructions qui auraient eu lieu à la même date à des siècles d’intervalle. « Ticha be av », expression hébraïque que dans mon enfance je ne connaissais pas, que je n’ai jamais entendue et que j’ai mis une éternité à associer au mot « Tcha’abeb » qui, lui, a de toujours bercé mes oreilles. J’ai, en effet, comme beaucoup d’entre nous je pense, mis un temps fou à faire le lien entre « Tcha’abeb » utilisé par tous dans le Constantinois et « Ticha be av » dont il dérive, d’une part par introduction du fameux « Tch » constantinois, signature singulière et identifiable entre mille de leur façon de parler le Judéo-Arabe, le « a’a » que j’ai transcrit ainsi pour rendre compte de la gutturale « yaïn » de « ticha’a’ » qui ne se prononce pratiquement plus dans l’hébreu moderne mais qui à cette époque et en ces lieux était encore bien marqué. La suite, « be av » qui devient « b’eb » ne posant aucun problème car il s’agit juste d’une manière particulière de prononcer.

Ceci posé en liminaire, il existe un autre mot, très utilisé dans cette région du monde qu’était alors le Constantinois, mot singulier, extrêmement mystérieux pour moi, en rapport lui aussi à cette période particulière de la vie juive. Et ce mot, que vous allez tous reconnaître, vous, gens du Constantinois (et peut-être aussi d’ailleurs) est celui de : « Hègueï ». Ce terme m’était tellement familier, si

parfaitement intégré, je l’entendais si souvent, que là encore j’ai mis un temps fou avant de m’interroger à son sujet. C’est hélas souvent le cas ! Je crois même que cela fait partie du jeu de la vie. Pour mille bonnes ou mauvaises raisons, on tarde on tarde on tarde à poser les questions car on sait ou on pense qu’il y aura toujours quelqu’un pour y répondre ou parce que tout simplement la question ne s’impose pas et puis, lorsque l’on se décide ou lorsque le besoin de savoir s’invite et devient urgence… Ceux qui auraient pu répondre, ne sont plus là. Ce fut mon cas. Alors, j’ai interrogé, j’ai cherché, j’ai cherché…

Je savais, d’une manière certaine, que « Hègueï » était fortement associé à Ticha be Av, point. Je n’arrivais cependant pas à comprendre le LIEN entre les deux mots et surtout le sens exact ou l’origine de « Hègueï ». J’ignorais si ce terme correspondait à un symbole, une idée, un lieu, une période de temps et, enfant, j’ai même cru un moment qu’il s’agissait d’un être humain (on verra pourquoi plus avant).

Récapitulons. Dans la région d’où je viens, on employait le mot « Tcha’abeb » bien sûr mais aussi souvent, sinon plus, « Hègueï ». Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’on utilisait aussi ce mot à d’autres fins que pour signifier cette période particulière mais toujours dans un sens négatif, péjoratif ou dépréciatif. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai jamais su d’où sortait ce mot et ce qu’il signifiait. Comme tous, je l’avais associé à « Tcha’abeb », point. J’ai même cru un temps qu’il s’agissait d’un mot d’arabe classique ou dialectal, ce qu’une amie Algérienne musulmane m’a infirmé. Or, dernièrement, par le plus grand des hasards (???), via WhatsApp, comme la période de « Ticha be av » approchait, sans se consulter le moins du monde, deux de mes correspondants m’ont envoyé un petit texte qui résumait un enseignement, au départ probablement plus développé, du Grand Rabbin René Guedj sur le sujet. Comme je ne suis ni linguiste, ni spécialiste en exégèse biblique, que je n’ai pas la rapidité d’esprit de faire les recoupements et les associations dans les références, j’ai eu beaucoup de mal à tirer profit de ce que je lisais.

Il ressort de ce que j’ai pu synthétiser que l’expression « Ha guaï ou Ha gueï » citée à plusieurs reprises dans les Textes correspond indubitablement au mot « Vallée » ou « Vallon ». (Je donne à la fin de mon texte, pour ceux que cela intéresse, les références fournies par le Grand Rabbin René Guedj). Donc, il s’agit effectivement d’une « Vallée » mais à ce point, le mystère reste entier quant à son lien avec « Ticha be av ».

Cela s’éclaircit un petit peu si on se reporte à Samuel 17, 3 où Philistins et Israël se trouvent de part et d’autre d’une « Vallée ». Le danger est alors immense car seule cette « Vallée » les sépare. Premier indice de danger mortel potentiel attaché au mot « Gueï ». La connotation est encore plus patente si on se reporte à Jérémie 32, 35, où il est écrit : « Ils ont construit… dans la Vallée Ben Hinnom, pour offrir leurs fils et leurs filles en sacrifice à Moloch ». Le texte précise « Gueï ben Hinnom (Vallée Ben Hinnom) » qui se situe au sud de Jérusalem, et il ne

s’agit plus là d’une simple Vallée, mais d’une Vallée où se sont déroulés des événements absolument terribles, où des humains étaient sacrifiés, etc. Une Vallée de l’angoisse, une Vallée de la désespérance, une Vallée de la mort. D’ailleurs, l’expression « Gueï ben Hinnom », « Guehinom » (en grec « Géenaa », en latin « Gehenna ») a donné en français « Géhenne », c’est-à-dire l’enfer ou plutôt le purgatoire, l’horreur, le malheur, la catastrophe.

Et donc, à ce que j’en ai déduit, par un raccourci propre au génie créatif de l’Homme, une association se serait faite entre l’horreur de ce que représentait cette « Vallée » particulière (« Gueï ben Himmon », « La Vallée de la mort », désormais identifiable sous sa forme contractée « Ha Gueï », et la catastrophe aux ondes de choc illimitées que fut pour le peuple Juif la destruction du Temple. « Ha Gueï » est désormais associé au mal absolu, à la désespérance, au malheur, et on comprend mieux pourquoi « Ticha be Av » allias « Tcha’abeb » a eu pour synonyme « Hagueï ou Hègueï ». Le lien entre « Tcha’abeb et Hègueï » est donc établi.

Voilà où j’en étais arrivée de mes réflexions lorsque je me suis souvenue (et je suis sûre que nombre de Constantinois s’en souviennent aussi) d’un chant en Judéo-Arabe entendu dans mon enfance qu’il était coutume de chanter pour marquer la fin de « Ticha be Av ».

Ce texte fort énigmatique paraît même quelque peu « insensé » comme souvent les comptines populaires dont on a gardé les paroles en ayant perdu les raisons qui ont conduit à son écriture et son sens originel. Par quel revirement, par quel raccourci est-on passé du deuil profond et de la désespérance de « Techa be Av » à un chant où « Hègueï » est de la partie ? Peut-être cela fait-il partie de l’ADN des Juifs du Maghreb de toujours essayer de dépasser la souffrance, de contourner le malheur, de détourner toute situation par trop angoissante vers le positif, vers la Vie, quitte à passer par la dérision et par des chemins singuliers pour y parvenir… peut-être.

Je crois cependant avoir compris la raison qui a conduit à l’écriture de ce chant. En me basant sur les références données par le Grand Rabbin René Guedj, et en espérant ne pas avoir fait de contre-sens, si on se reporte à Isaïe 40, 4, il est écrit : « Que tout « Vallon » soit élevé ! Que toute montagne et toute colline soient abaissées !… La Gloire de D. se révèlera… ». Il y a donc rédemption. Toute hauteur est aplanie, toute vallée est comblée, en particulier la « Vallée de la mort et de la désolation », « He Gueï » la fameuse Vallée aussi, « He Gueï » n’existe plus… On peut alors se réjouir, on peut même composer un chant où il est question de sa disparition et de sa mort !

Le texte est pour le moins énigmatique, je l’ai déjà dit, et probablement plein de secrets et de mystères non éclaircis (il me fait penser à ce texte tout aussi énigmatique chanté le soir de Pessah dans le monde entier et en toutes les langues où il est question d’un agneau offert par un père etc. etc. etc.).

J’ignore à quand dans le temps remonte l’apparition de ce texte, j’ignore son sens véritable, j’ignore s’il a voyagé et s’il est connu ailleurs que dans le Constantinois, je sais juste qu’eux, les Constantinois, par transmission orale de génération en génération, l’ont conservé. Qu’ils en soient ici remerciés.

Je me permets de vous restituer ce texte et vous le livre tel quel :

Hègueï met, Hègueï est mort,

Rhela sebra bneit, Il a laissé sept filles,

Ouahda aoura, l’une louche,

Ouahda mndouda, l’une est agitée (active),

Ouahda kbera, l’une est grande,

Ouahda sghrera, l’une est petite,

Ouahda chaba, l’une est belle

Ouahda msekda, l’une est bien mise, bien apprêtée

Ouahda adra, l’une est forte (elle a les bras solides)

« HèGueï » est mort (on l’identifie à un être humain) et il laisse sept filles (allégories de la Vie ? Du renouveau par les naissances à attendre ? De l’Espoir ?), chacune dotée d’une caractéristique particulière.

[Ce texte en arabe dialectal retranscrit phonétiquement clôturait l’explication donnée par le Grand Rabbin René Guedj.]

 

Je remercie la personne (qui ne m’est pas connue) qui s’est donné la peine de résumer le cours du Grand Rabbin René Guedj, je remercie Annie et Guy-Paul (ils se reconnaîtront) qui, sans se concerter, m’ont envoyé ce résumé lequel m’a aidée à éclaircir un peu (du moins, je l’espère) le mystère du mot « Hègueï » et m’a permis également de vous communiquer la transcription arabe du chant. S’il y a des erreurs dans la traduction française, c’est à moi qu’elle doit être imputée.

[Références au mot Guai ou Gueï (il en existe d’autres) : 2Chroniques, 26,9 : … la Porte de la vallée ; Jérémie 2,23 : où il est question d’un vallon, ha Gaï ;… Psaumes 23,4 … quand je marche dans la Vallée de l’ombre de la mort je ne crains aucun mal… et Nombres 21, 20 … et de Bamoth à la Vallée qui est dans la campagne de Moab].

Monique Zerdoun

Ticha be av 2023