Par le Dr. Didier NEBOT

C’est en octobre 1870 qu’eut lieu le grand bouleversement, la nouvelle du Décret Crémieux sonna la fin d’une époque et le début d’une autre. Voici la teneur de ce décret en date du 24 Octobre 1870 :
« Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français : en conséquence leur statut réel et leur statut personnel seront à compter de la promulgation du présent décret réglés par la loi française ; tous droits acquis jusqu'à ce jour restent inviolables. Toute disposition législative, décret, règlement, ou ordonnances contraires sont abolis. » signé A.Crémieux, L.Gambetta,A.Glaize Bisoin ,L. Fourichon.
Un autre décret fut également promulgué mettant fin à l’administration militaire en Algérie.Le temps des militaires était révolu. L’Algérie devenait française, elle se scindait en trois départements et passait au régime civil. Ce furent des hourras dans la population : le sol qu’elle cultivait lui appartenait enfin ! La France s’étendait maintenant au sud, par-delà les mers. Une joyeuse folie secoua le pays.
Mais les musulmans ne participaient pas à la fête.
Ils étaient dépossédés de leurs biens. Choqués par cette négation de leur identité, ils crièrent à l’outrage. Il fut donc à peine noté, de-ci, de-là, qu’un simple bout de papier venait également rendre tous les juifs installés en Algérie des citoyens français. Les colons s’en souciaient peu, mais cette infamie frappa de plein fouet les indigènes : les juifs, qui vivaient là en dhimmi, depuis des siècles, avaient soudain davantage de droits que les musulmans. C’était à n’y rien comprendre !
En fait, Napoléon III avait proposé aux musulmans, dans le sénatus-consulte de 1865, la nationalité française, mais il fallait qu’ils acceptent les lois françaises au lieu et place de la charia. Très peu osèrent franchir le pas.
Ils étaient considérés comme des renégats par leurs coreligionnaires. Les juifs eux-mêmes, implantés dans le mépris qu’on leur accordait généreusement, ne surent s’ils devaient se réjouir ou craindre de nouvelles menaces : les regards qu’ils croisaient ne laissaient présager rien de bon. Les nombreux émigrés espagnols, qui avaient hérité du même privilège, gardaient un mépris ancestral pour cette race maudite qui avait tué le Christ. Quant aux métropolitains de souche, affichant sans détour leur supériorité, ils n’appréciaient guère ce peuple "lâche, hypocrite et voleur ». Un journal, L’Antijuif, se vendait dans les cafés, où l’on aimait vilipender tout ce qui différait d’un Européen.
Les Musulmans ne pardonnaient pas aux européens d’avoir accordé aux juifs la nationalité française. En 1871, les Kabyles se soulevèrent. Ils attaquèrent des villes et brûlèrent des fermes. À Palestro, ils massacrèrent trente et un colons. Leur chef Mokrani stipula qu’il n’obéirait jamais à un dhimmi : “Je veux bien me mettre au-dessous d’un sabre, dût-il me trancher la tête mais au-dessous d’un juif, jamais ! Jamais ! ”
Alger avait d’autres soucis. Le nouveau pouvoir civil avait beaucoup de mal à s’installer. Chacun voulait en faire partie, des clans se formaient, les esprits étaient surexcités.
Une atmosphère révolutionnaire gagnait peu à peu toute l’Algérie. Les Musulmans, eux aussi, commencèrent à s’agiter, le pays semblait au bord de l’insurrection mais, préoccupés par leurs luttes internes, les Européens ne voyaient rien venir. Les juifs ne disaient rien, s’engouffrant avec discrétion dans cette brèche de liberté qui les rendait égaux des européens.
En une génération ils rattrapèrent plusieurs centaines de décennies d’obscurantisme avec les mêmes droits que les chrétiens. Il s’ensuivait une jalousie qui accentua l’antisémitisme qui existait alors.