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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
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La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
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Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
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 par Albert Bensoussan

Nous, les enfants, on était pétrifiés à l’approche des jours redoutables – ימים־נוראים yamim noraïm – en nous interrogeant sur le Livre et cette sacrée signature. Il s’agissait toujours de bien se tenir – caprices, colères, rancunes, disputes et cris, fini ! – pour obtenir l’impalpable et précieuse récompense : Une bonne signature signifiait l’inscription sur le livre de la vie pour l’année à venir. J’avais, pour ma part, retenu la terrifiante leçon du rabbin Cohen-Solal qui, à l’Alliance Israélite de la rue Bab-el-Oued où il nous préparait à la barmitsva, nous avait seriné ce verset de l’Exode : « Celui qui a péché envers moi, mi asher ‘hata-li חטה־לי, celui-là je l’effacerai de mon livre em’hénou misifri מחנו־מספריא) « Chemot, 32 : 33).

Alors il s’agissait d’être inscrit parmi les survivants, et qu’Abraham אברהם־בן־שמואל, mon nom, figure bien pour une année encore parmi les élus du peuple élu qu’assez mystérieusement la Torah identifiait comme le peuple arrondi ou ovale ‘am ségoula עם־סגלה) (Devarim, 7 :6) – mais ségol a bien d’autres sens : la couleur violette, un cadre, une adaptation ou accommodation et ségoula représente un nom paroxyton, 2 accentué donc sur l’avant-dernière syllabe –, qu’il fallait aussi comprendre comme peuple enserré dans l’anneau, peuple séparé dans son cercle, autrement dit peuple encerclé − ce qui est, sans doute, la juste et toujours actuelle définition du peuple d’Israël. La veille de Rosh Hachana ראש־השנה, au crépuscule, papa nous réunissait autour de lui, chacun dûment coiffé du béret (qui, naguère, avait précédé la kippa), ouvrait cérémonieusement son livre spécial qu’on appelait Ma’hzor מחזור .

Et là, d’une voix qu’il abaissait vers le grave, il invoquait la « petite sœur », cette A’hot quétana אחות־קטנה qui n’avait rien à voir avec Estelle ma sœurette, elle qui déjà faisait l’importante et gloussait. Non, non, disait papa, cette petite sœur c’est la bien-aimée du Cantique des cantiques¸ la petite fiancée d’Israël qui, dans la pureté et l’innocence, demande à notre Seigneur de mettre un terme aux malédictions et de faire advenir, en cette « Tête de l’An » qui est la traduction exacte de Rosh Hachana, la bénédiction.

Et d’ailleurs, si nous avions tous la tête penchée et le cœur contrit en psalmodiant le refrain : « Que finisse cette année avec ses malédictions », au dernier verset papa nous demandait de relever la tête et de sourire : « Que l’année commence avec ses bénédictions ! » Exit la quelalah קללה , la malédiction, sur nous la berakha ברכה , la bénédiction.

L’innocence chez nous était représentée par mon petit neveu − je n’ai que cinq ans de plus que lui, et d’ailleurs son père, mon frère Simon, l’aîné de la famille, a quinze ans d’écart avec moi, voilà. Jean-Claude-Sam, mais on l’appelait Claudy, étant le plus jeune et, totalement ignorant de l’hébreu et des prières, s’accrochait à son grand-père. Oui, littéralement accroché, attaché, encordé, il encerclait la cuisse de mon père de ses deux petits bras, en s’écriant : « Pépé, je te tiens la jambe ».

Et la prière passait sur lui, qui fermait les yeux, béat, confiant, optimiste et à juste titre car aux premiers jours de 1941, Juju sa mère, ma belle-sœur parisienne, avait eu le front de fuir la capitale des douleurs et des oppressions pour gagner la ville de Marseille et de là, par un providentiel paquebot, Alger-la-Blanche qui serait bientôt la capitale de la France Libre. Oui, sa mère l’avait sauvé de la déportation et c’est pourquoi nous le chérissions comme l’enfant du miracle.

Alors Claudy s’attachait, s’encordait à mon père, frottant sa tête contre la cuisse de mon géniteur qui, tout en psalmodiant le premier chant du premier de l’an, caressait son front en démêlant ses mèches. Et le petit souriait, yeux clos, comme si les paroles pieuses avaient pénétré son petit corps. Oui, toute la piété du grand-père se diffusait, se transfusait en son petit-fils. Et jamais l’un ne fut sans l’autre. Plus tard, dans l’exil de Paris, quand mon père, aux jours redoutables, se rendait à la synagogue de la rue Vauquelin – où officiait notre presque cousin Emmanuel Chouchena, le gendre du grand-rabbin Rahamim Naouri qui, fuyant Bône après l’indépendance, sauva le plus vieux Sefer Torah du pays en l’enroulant autour de ses flancs afin de le dissimuler sous son manteau aux nouveaux maîtres de l’Algérie −, jamais Claudy ne manquait de l’accompagner. Certes plus grand que son grand-père désormais, mais lui tenant toujours la jambe et percevant Sa parole par toutes ses fibres. Et tout le temps de Rosh Hachana et toute la rude journée de Kippour, Claudy était penché sur mon père qui allait devenir si grand vieillard (un petit matin, alors qu’il allait se rendre pieusement aux seli’hot סליחות , ces lamentations ou « pardons » qui préludent aux jours redoutables, il fut précipité à terre et son fémur se brisa : alors il lui faudrait mourir).

Mais s’il était le patriarche, mon neveu était son héritier, et pour mieux matérialiser l’héritage et la transmission, mon père, qui fut officier de l’armée française et mutilé de guerre en Quatorze, lui offrit son épée de parade (celle qu’il dresse sur la photo quand le général Catroux épingla sur sa poitrine la légion d’honneur). Ainsi Claudy fut notre Ish maguen איש־מגן , l’homme bouclier, le gardien de l’héritage. C’est lui qui récitera le kaddish quand je ne serai plus. Et Jean-Claude-Sam pleurera sur Abraham comme il pleura sur la dépouille de Samuel, son grand-père. (Dont il reçoit toujours la visite dans les ombres du sommeil.) Mais laissons derrière nous toutes nos tristesses, que nous jetterons dans les eaux tumultueuses en ce geste que nous accomplirons l’après-midi du 1er jour, ce tachlikh תשליך, qui est envol des péchés.

À moi ce conte de Tichri, cette légende que je recueillis au rivage d’Israël… La scène se passe et débute en Libye, qui fut un pays heureux, ignorant le mauvais œil. Car, comment prendre de l’œil quand celui-ci est à ce point enfoncé au fond de l’orbite ? Et puis la parole coulait au milieu des sables, car le désert est lieu de miracles. La parole, davar דבר, jaillit du désert, midvar מדבר, littéralement « de la parole », et c’est le même mot… Là-bas le fidèle se drapait dans son talit à la façon d’un burnous, avec ce geste archaïque du nomade qui, pénétrant les dunes, s’emmitoufle dans sa laine, barrant l’accès à toutes ces myriades sablonneuses qui pourraient forcer les paupières.

Je me trouve, donc, un matin de Chabbat à Netanya dans la synagogue des Libyens et j’arrive au moment même où Moïse fait franchir la mer Rouge aux Hébreux, et sur l’autre rive voilà qu’ils entonnent l’hymne Az Yachir Moshé אז־ ישיר־משה) Chemot, 15 : 1-18), et là je vois le kahal au grand complet se lever et clamer à tue-tête et joyeusement le chant de grâce tandis que Myriam, la prophétesse, joue de la derbouka. Ils sont debout et ils sont hilares car, naguère, sur le bateau qui les emmenait de Tripoli à Haïfa, ces Libyens rescapés, en saluant la mer, avaient justement chanté cet hymne du passage et de la guéoulah גאלה, la délivrance. Ici on parle hébreu, et, pour les anciens, on parle même l’arabe.

Mais ce qui me surprend le plus c’est la transmission génétique des caractères acquis au 5 désert, depuis des millénaires. Alors qu’ils sont nés, pour la plupart, sur la plage la plus belle d’Israël avec ses onze kilomètres de sable tendrement recouvert d’eau en Mer du Milieu − hayam ha-tikhon הים־התיכון −, les jeunes d’ici ont tous cette même tête carrée et rase, sans un poil où accrocher la barrette de la kippa, avec, sous le front et ses saillantes arcades, deux yeux qu’il faut aller chercher au fond des orbites. Un regard caché, retiré, presque aveugle.

L’un d’eux justement se tient debout face au rouleau de la Torah, près du rabbin qui convoque les montées au Sefer ספר, et, après chaque bénédiction de l’appelé, le jeune homme s’avance devant les deux bras du Rouleau campés à la verticale, retire le foulard qui cache les lettres sacrées le temps de dire les paroles profanes, et clouant ses yeux dessus, le plus près possible des caractères carrés, le voilà cantillant la Torah sur ses te’amim טעמים, ses accents mélodiques, sans une hésitation, sans même lire vraiment – où sont ses yeux ? −, parcourant à l’aveugle le parchemin. Mais alors qu’il scande ce passage initial du Deutéronome, l’ultime livre du Pentateuque qui résume les paroles de Moïse, sa voix se brise au verset : « Et dans le désert… Dieu t’a porté… comme un homme porte son fils – caasher yissa ish et-beno כאשר־ישא־איש־את־בנו« (Devarim, 1 : 31).

Ainsi se sent-il aujourd’hui porté par la Torah dont la lumière l’aveugle… Puis cet homme jeune à la voix rauque descend de la tevah תיבה, sans tituber, et regagne sa place où son jeune frère, debout, en révérence et en respect pour cet aîné si bien instruit de paracha, remet sur ses épaules le talit qui a glissé, et son geste est d’infinie tendresse.

Au point de m’émouvoir. Ou est-ce de l’avoir entendu si bien chanter la Torah ? Je regarde ce garçon qui n’a pas de regard et mes yeux s’inondent… Alors mon voisin de stalles, un lubi aux yeux caves, me raconte l’épopée : cet Ephraïm n’est autre que le petit-fils du Rav Yaacov de Benghazi בנגאזי– 6 cette grande ville juive face au rivage des Syrtes –, le célèbre Sofer סופר de Cyrénaïque qui, en ses longues années de vie, écrivit pas moins de soixante-six rouleaux de la Torah et quelque trente-trois méguilot de Pourim. Sauf qu’il en perdit la vue, en sa soixante-dix-huitième année – il avait, n’est-ce pas ? commencé à calligraphier les 304 805 lettres du Livre sitôt après sa bar-mitsvah –, et voilà qu’il tenait son calame haut dressé, s’appliquant à tracer les dernières lettres de l’ultime mot du Livre.

Ce mot, on s’en souviendra, n’est autre que « Israël », à la dernière phrase qui dit de Moïse, mourant dans le baiser al-pi על־פּי de Dieu au mont Nebo נבו d’où il contemple depuis Moab מואב la Terre Promise : jamais il ne s’est levé pareil prophète « aux yeux de tout Israël ».

Et voilà que Sidi Yaacov qui venait de tracer משה MOSHE, en pleurant sur la mort du Prophète, sentit que ce rideau de larmes s’épaississait, que le sel purulent voilait définitivement son regard : à peine eut-il le temps, dans l’effacement du jour, de tracer encore לעיני־כל le’eney kol – « aux yeux de tout… » −, que ses yeux moururent à la vue, à la vie… C’est là qu’intervint son petit-fils, qui se nomme Ephraïm, et de ce fait est son héritier, son plus cher descendant, celui pour lequel, autrefois, Jacob יעקב notre Père avait croisé ses mains, frustrant de sa droite le véritable aîné de Joseph, qui était Manassé מנשה , pour choisir et bénir pour l’éternité le nom d’Ephraïm אפרים.

Alors l’enfant qui, depuis tout petit, se tressait à la cuisse de l’aïeul et se tenait bien droit, accroché, relié, rattaché, encordé à lui, en retenant son souffle pour que la main du scribe ne tremblât pas, se saisit du roseau trempé d’encre, approcha sa petite tête ronde de la peau de chèvre étalée sur la table, aiguisa ses yeux comme pour y chercher le feu qui venait de s’éteindre aux prunelles de Rabbi Yaacov de Benghazi, et traça enfin, en pas moins d’une heure, dessinant à la ronde sans le moindre débordement d’encre, et surtout pas de pâté maléfique, les lettres terminales et triomphantes : ישראל ISRAËL. 7 Sitôt mis en terre le corps de l’aveugle, toute la maison de Libye, drapée dans ses burnous et ses talits, avec pour seul bagage les Rouleaux sacrés, prit le chemin de l’exil. Exil de Benghazi, certes, mais à rebours, retraçant l’épopée du peuple hébreu quoique sans l’interminable errance sinaïque jusqu’en EretsIsraël ארץ־ישראל.

Le petit-fils avait enroulé autour de sa taille le dernier Sefer Torah de son grand-père, celui sur lequel il avait tracé, lui, le jeune Éphraïm, le nom de son ineffable patrie et de sa nouvelle terre…. Et il porta la Torah sur lui comme un fils porte son Père… Comme les Hébreux fuyant l’Égypte portèrent le corps embaumé de Joseph יוסף qui leur avait recommandé en mourant : « Vous emporterez mes ossements » veha’alitem-et-‘atsmotaï והעלתם־את־ עצמתי) Berechit, 50 : 25).

Malgré tout, le chemin fut long et dura le temps du Récit. Quel récit ? Mais celui-là même que le scribe transcrivit des lèvres de Moïse, la Torah aux cinq temps de son Rouleau, qui, sans discontinuer, se déroula des lèvres d’Ephraïm à l’immense stupéfaction de la tribu judéolibyenne. Car enfin, cet enfant avançait sur les sables infinis, soutenu par l’espoir d’une montée définitive sur la terre ancestrale, et voilà que sa bouche s’ouvrait tout naturellement, magiquement, pour laisser sortir les sons d’euxmêmes, épelant les mots de toutes les péricopes de toutes les semaines de l’an.

C’était là le nouveau miracle de la traversée du désert : l’héritier et petitfils du plus célèbre rabbin libyen, le Sofer de Cyrénaïque, avait reçu en héritage, en partage et en transmission au fond des yeux, la mémoire de la Torah. Oui, le Livre était en lui, faisait corps avec lui, comme si l’enveloppe sacrée dont il avait ceint ses flancs avait laissé passer, par transfusion, les lettres écrites à l’encre de Chine avec un roseau sur un lambeau de peau de chèvre tannée…

C’est alors qu’en conclusion mon voisin libyen de synagogue, se pencha vers moi et dit : 

– Vous savez, ce petit, il n’a aucun mérite, il sait toute la Torah par cœur sans l’avoir jamais apprise !...

 

‘hatima tova חתימה־טובה

bonne signature 5786 !

 

אברהם־בן־שמואל־בן־שושן

Albert Bensoussan

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