Alger. 1936. Synagogue de la rue de Dijon, dite « synagogue des mariages ». © Photothèque de l’Alliance israélite universelle. Bibliothèque AIU.
Mi-octobre 2025, la synagogue Chaloum Lebhar, située dans le quartier de Bab El Oued à Alger, a été rasée par les autorités Algérienne.
Officiellement, la décision aurait été motivée par un « risque d’effondrement ».
C’est un bien symbole de plus de cent ans d’histoire qui vient d’être effacé des rues d’Alger.
Édifiée en 1894, sur un terrain de 180 m2 donné au consistoire d’Alger par Chaloum Lenhar, la synagogue du nom du bienfaiteur fut longtemps l’un des lieux les plus vivants du judaïsme algérien.
Capable d’accueillir jusqu’à 500 fidèles, la synagogue conçue pour de grandes célébrations, était orné d’une teinture rouge recouvrant le Tabernacle avec des céramiques de chaque côté.
Les familles y célébraient mariages, fêtes et offices. Elle faisait partie de ces lieux de culte qui tissaient le lien entre une communauté profondément enracinée dans la société algérienne et la ville qu’elle aimait.
Aujourd’hui, il n’en reste rien.
Avant 1962, environ 140 000 Juifs vivaient en Algérie.
Après l’indépendance, presque tous ont quitté le pays.
Synagogues, écoles, cimetières et archives ont peu à peu disparu, laissés à l’abandon, convertis ou détruits.
Ce processus, lent mais constant, a conduit à un quasi-effacement du patrimoine juif algérien, pourtant constitutif de l’histoire nationale.
La démolition de Chaloum Lebhar n’est pas un simple acte administratif, elle traduit une indifférence institutionnelle à la mémoire plurielle du pays.
Détruire un édifice comme celui-ci, c’est détruire ce qu’il représentait : une Algérie où la diversité religieuse et culturelle coexistait, où Juifs, Chrétiens et Musulmans partageaient des quartiers, des vies.
L’argument du péril technique ne saurait justifier l’oubli.
Dans tous les pays attachés à leur histoire, des bâtiments fragiles sont restaurés, documentés, classés.
Rien n’empêchait les autorités algériennes d’engager une démarche de sauvegarde patrimoniale, d’enregistrer le bâtiment, d’en préserver la mémoire architecturale, ou, à défaut, d’en expliquer publiquement les raisons de la démolition.
Ce geste brutal s’ajoute à une série d’effacements qui réduisent l’histoire juive d’Algérie à un souvenir clandestin. Pourtant, cette histoire est aussi celle de l’Algérie elle-même : des Femmes et des Hommes qui ont contribué à sa culture, à son économie, à sa modernité.
Effacer leurs traces, c’est appauvrir la mémoire nationale.
Préserver ces lieux, c’est au contraire reconnaître que la richesse d’un pays se mesure aussi à sa capacité à valoriser son passé dans toute sa complexité.
Nous, membres de l’association Morial, appelons les défenseurs du patrimoine à s’engager dans un inventaire et à une protection active des sites juifs encore existants en Algérie.
Quand une synagogue disparaît, ce n’est pas seulement un bâtiment qu’on abat c’est un fragment d’histoire commune qu’on enterre"
La profanation de la grande synagogue d’Alger : decembre 1960

Le 12 décembre 1960, la Grande Synagogue d’Alger, jadis joyau de la communauté et héritière des traditions séfarades ramenées d’Espagne, fut le théâtre d’une profanation tragique. Des foules déchaînées envahirent l’édifice, emportant lustres, objets de valeur, plaques commémoratives et tout souvenir tangible des héros et martyrs de la communauté. Les murs, l’Héhal, les Sepher Torah et les livres sacrés furent déchirés, souillés et entassés dans des sacs, témoins silencieux du chaos. Le podium, autrefois lieu de cérémonies et de joie, n’était plus qu’un vestige silencieux de ce qui avait été.
Malgré l’intervention de l’armée et de la garde mobile, le spectacle resta hallucinant et douloureux, tout symbole de mémoire et de dévotion semblait anéanti. Une émotion intense et des larmes de désespoir marquèrent l’entrée des responsables de la communauté, réalisant l’ampleur de la destruction. Le jeudi suivant fut décrété jour de deuil et de jeûne dans toute l’Algérie et même en France. Ce sacrilège marqua la fin de la Grande Synagogue et en devenir proche celui des communautés juives d’Algérie.
Julien Zenouda, mon ami de Netanya, me raconta ces faits avec des détails que je ne connaissais pas encore et dont son père Martin avait été un des protagonistes.
En effet le lendemain de la profanation, alors que la peur planait encore sur toute la communauté juive et que les rues étaient loin d’être sûres, Martin Zenouda, accompagné du Grand rabbin David Askenazi, du Rabbin Charles Kamoun, de Sylvain Saada et de quelques autres fidèles, prirent le risque insensé de remonter la rue Randon, traversant une foule hostile qui pouvait à tout moment les prendre pour cibles. Ce n’était pas seulement une marche vers une synagogue incendiée et profanée, c’était une marche de dignité, un refus de se terrer dans la peur.
Un acte de dignité et de résistance
En pénétrant dans le sanctuaire dévasté, ils furent confrontés à une vision de désolation : les rouleaux de la Torah arrachés de leurs armoires sacrées, certains brûlés, d’autres déchirés ou souillés, les livres saints piétinés, les bancs et les objets de culte saccagés, les deux grands tableaux de marbre placés sur les côtés et recensant les noms des soldats juifs morts pour la France détruits, souillés. Mais là où beaucoup auraient reculé devant tant de profanation, Martin et ses compagnons trouvèrent la force de relever ce qui pouvait encore être sauvé.
Ils ramassèrent, un à un, les fragments de parchemins, les restes calcinés des Sépharim rapportés d’Espagne en 1391 par les grands rabbins Ribash et Rashbatz, les livres éventrés. Et ces vestiges, ils les portèrent ensuite, avec un infini respect, jusqu’au cimetière juif de Saint-Eugène. Là, dans le carré des rabbins, ils offrirent à ces restes sacrés une véritable sépulture, avec les honneurs dus à la Torah.
Ce geste n’était pas seulement un acte de piété religieuse. C’était un acte de résistance, de fierté, de dignité. Pendant des siècles, les Juifs d’Algérie, comme ailleurs, avaient vécu sous le régime du dhimmi, courbant parfois le dos devant l’adversité, contraints de subir humiliations et menaces. Mais ce jour-là, par ce geste audacieux, Martin Zenouda et ceux qui l’accompagnaient montrèrent que ces temps étaient révolus, ils n’avaient plus peur, ils relevaient la tête, ils refusaient d’être effacés.
À travers eux, c’est toute la communauté juive d’Algérie qui exprimait sa voix. Une voix de dignité, une voix de fidélité à la mémoire et à la foi. Ces hommes rappelaient au monde que le judaïsme algérien, même blessé, restait debout.
Alors, au nom de tous, au nom de ceux qui étaient là et de ceux qui aujourd’hui encore se souviennent : Merci Martin ! Merci Monsieur le Grand rabbin David Askenazi ! Merci Monsieur Saada ! Merci Monsieur le Rabbin Charles Kamoun ! Merci à votre courage, à votre geste qui restera gravé dans l’histoire.
Ce fut le dernier pogrom juif en terre d’Algérie.
EXTRAIT DU LIVRE DU Dr DIDIER NEBOT : « LE MANUSCRIT SACRE » sortie (Janvier 2026)

